Fruits
1996 - Réalisateur-rice : Fruits
Chorégraphe(s) : Diverrès, Catherine (France)
Présentée dans la/les collection(s) : Centre national de la danse
Fruits
1996 - Réalisateur-rice : Fruits
Chorégraphe(s) : Diverrès, Catherine (France)
Présentée dans la/les collection(s) : Centre national de la danse
FRUITS
Pièce pour dix danseurs créée au festival Montpellier Danse 1996, « Fruits » s'inspire d'un poème de Friedrich Hölderlin dont elle tire son titre – « Les fruits sont mûrs » – qui évoque à la chorégraphe « à la fois un côté sensuel et charnel et la présence du cycle de la mort » : « La sensualité est présente dans la vie, précise-t-elle. Mais un fruit peut être pourri. Qui dit chair dit décomposition. » [1]
« Les fruits sont mûrs, baignés de feu, cuisants,
Et goûtés sur la terre ; une Loi veut
Que tout se glisse comme des serpents au cœur des choses,
Prophétique, rêvant sur
Les collines du ciel. Et il y a beaucoup
(Comme aux épaules, une
Charge de bois bûché)
A maintenir. Mais perfides
Sont les sentiers. Oui, hors du droit chemin,
Comme des coursiers, s'emportent les Eléments
Captifs et les antiques
Lois de la Terre. Et sans cesse un désir vers ce qui
N'est point
Lié s'élance. Il y a beaucoup à maintenir. Il faut être fidèle.
Mais nous ne regarderons point devant nous, ni
Derrière, nous laissant bercer comme
Dans une tremblante barque de la mer. » [2]
Imaginée à son retour d'ex-Yougoslavie, « Fruits » est conçue avec la complicité du scénographe Daniel Jeanneteau – collaborateur bien identifié de Claude Régy – revenant lui-même de Beyrouth. Tous deux sont habités par les images des paysages de destruction qu'ils ont rencontrés. C'est lui qui soumet le poème d'Hölderlin à C. Diverrès : « Je suis tombée en arrêt sur le poème. Je trouvais que c'était vraiment une matrice pour créer. » [3] Elle précise ailleurs la lecture qu'elle en fait : « Le texte évoque la fuite des choses et la manière de retenir les instants qui passent. La pièce parlera donc du temps. Mais le poème comme la pièce évoque également la violence des éléments dans la nature et la violence récurrente dans l'homme. » [4]
Inspiré d'une guerre sans nom, « Fruits » a pour sujet la rage de détruire exprimée par des mouvements souvent violents. Objet central de la scénographie, une grille métallique monumentale (huit mètres sur quinze) traverse la cage de scène dans toute sa hauteur et sa longueur. En acier usé, elle évoque une grille trouée de balles qu'habite la présence singulière d'une poule. Erigée au milieu du plateau pendant la première heure de la pièce, elle suscite un enjeu scénique autant que politique : « comment la danse peut-elle réussir à se dégager de cette pesanteur ? », « comment la danse va-t-elle arriver à lézarder ce mur invisible et nuisible ? » Avec « Tauride » (1992) et « Ces poussières » (1993), « Fruits » est en effet l'une des pièces de Catherine Diverrès le plus en rapport avec l'actualité. Les interviews sont autant d'occasions pour la chorégraphe d'exprimer son engagement intellectuel et politique en danse.
Un programme parle d'une « danse au goût de cendres » [5] non sans raison : la pièce se déroule en effet « sur les poussières d'un sol calciné, sombre étendue qui nous amène à remonter le temps et oblige à l'éveil » confirme Irène Filiberti [6]. Daniel Jeanneteau s'est inspiré d'une photo de Beyrouth sinistrée pour concevoir « un sol très pauvre, très noir », une matière que la chorégraphe a souhaitée mêlée de détritus, « avec des objets ocres qui donnent une impression d'écorces d'arbre » [7]. Ainsi en parle-t-il :
« Se méfier des complaisances, des images
Sol de boue, Jeanne au bûcher, or liquide
Finalement le granité de verniculite, mou, danser avec cela.
Sol dangereux, inconfortable. Les détritus, les fientes de pigeon, l'abandon, la mort. » [8]
D'une durée de deux heures, la pièce est interprétée par dix danseurs de diverses nationalités (Allemagne, Autriche, Brésil, Etats-Unis, France, Italie) dont seulement deux – Fabrice Dasse, intégré à la compagnie depuis 1992, et Cécile Loyer, depuis 1994 – ont déjà participé à des créations de la chorégraphe installée à Rennes depuis deux ans. Il est à souligner que c'est également la première pièce dans laquelle Catherine Diverrès ne s'implique pas en tant qu'interprète. Constatant que les corps de cette équipe renouvellée, plus jeunes que ceux qu'elle travaillait jusqu'alors, ne comportent aucune douleur, elle emploie leur légèreté à compenser la gravité de la pièce.
Lors du Festival Montpellier-Danse, la création de « Fruits » est accueillie par « une volée de bois vert » pour reprendre les mots de la critique Dominique Frétard. Injustement selon elle. A ceux qui lui reprochent sa gravité, sa violence, sa durée, la critique rétorque : « “Fruits” est une brûlure. Une grande réussite esthétique. Archaïque, violente, proche du sacrifice, de l'offrande, peuplée de créatures somnambuliques, qui interprètent le pire comme en dormant, la danse de Catherine Diverrès ne pouvait se métamorphoser qu'en donnant du temps au mouvement, qu'en l'étirant. (...) Ces deux heures sont nécessaires pour que le mouvement, souvent violent, se détache des corps, se dilue dans l'espace. La violence ainsi devient la forme même de la pièce. Elle est partout, impalpable, embusquée. Le corps est à la fois présent et ailleurs, parfois totalement immobile. “Fruits” est d'une sophistication toxique. (...) Dans “Fruits”, c'est sa propre violence que la chorégraphe s'est arrachée du corps. Pour la première fois, elle ne danse pas. Elle regarde ses danseurs, tous nouveaux, venus du monde entier, élégants, dépecer son âme sur scène. » [9]
Une publication du Centre chorégraphique de Rennes, éditée avec la participation de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), viendra compléter cette création. Les étapes du processus de création y sont décrites, généreusement illustrées des clichés de la photographe israélienne Lee Yanor.
Claire Delcroix
[1] C. Diverrès citée dans Delphine Goater, « Diverrès l'insoumise », Les Saisons de la danse, juin 1996, n° 281.
[2] F. Hölderlin, Poèmes isolés, in « Hölderlin Œuvres », Bibliothèque de la Pléiade, éd. Gallimard, traduit par Jean Tardieu, Philippe Jaccottet et Gustave Roud.
[3] C. Diverrès, « L'espace, les forces », in « Fruits », éditions Lansman, p. 65.
[4] C. Diverrès citée dans D. Goater, ibid.
[5] Programme de la Comédie de Caen, janvier 1997, n° 330.
[6] Feuille de salle du Théâtre de la Ville, 26-30 novembre 1996.
[7] C. Diverrès,« L'espace, les forces », in « Fruits », éditions Lansman, p. 65.
[8] D. Jeanneteau, notes d'entretien, juin 1996. Cité dans « Fruits », éditions Lansman, p. 51.
[9] D. Frétard, « Montpellier-danse célèbre les seventies et tient à l'écart la création actuelle », Le Monde, 2 juillet 1996.
dernière mise à jour : juin 2014
Diverrès, Catherine
Catherine Diverrès naît en Gironde en 1959, et passe une enfance entre France et Afrique. Dès l'âge de 5 ans, elle se forme à la danse classique auprès de Sylvie Tarraube, puis de Suzanne Oussov, selon la technique Vaganova. Dans le milieu des années 1970 elle aborde les techniques américaines (Limon, Graham, Cunningham, Nikolais), et entre en 1977 à Mudra Béjart.
Elle danse un temps pour les Ballets Félix Blaska (1978) puis pour la compagnie Nourkil – danse-théâtre et pour Elinor Ambasch (1979) avec Bernardo Montet. En 1980 ils intègrent la compagnie de Dominique Bagouet à Montpellier, notamment pour les pièces Grand Corridor et Toboggan. A la suite d'une série d'ateliers, Catherine Diverrès conçoit Une main de sable, création pour cinq danseurs pensée depuis un travail en commun autour des thèmes d'origine et de territoire, qui sera présentée au festival de Montpellier en juillet 1981.
En 1982, Elle s’installe à paris avec Bernardo Montet. Advient la préfiguration de ce qui deviendra le Studio DM, avec la création d'un solo de Catherine Diverrès, Consumer, puis l'obtention d'une bourse d'étude du Ministère de la Culture, leur permettant de se rendre à Kamihoshikawa (Japon) suivre une formation de six mois auprès du maître de butô Kasuo Ohno.
La première pièce officielle du Studio DM, Instance, est créée par Catherine et Bernardo Montet en 1983 à Tokyo, et la légende veut qu'elle laissa « muet le maître du butô en personne. » Elle est suivie du Rêve d'Helen Keller en 1984, conçue par Catherine Diverrès seule, et primée lors du Concours de Bagnolet. Sept autres pièces voient le jour entre 1985 et 1994, faisant l'objet de différentes collaborations. De cette première période de création, on note que Catherine Diverrès continue à danser dans chacune de ses pièces. A ses côtés, Bernardo Montet se pose également comme un collaborateur et interprète d'exception : « Deux danseurs hors pair : elle, lointaine, intouchée, lui, massif et virtuose à la fois, tous deux réunis dans une même façon de ployer le corps et de passer avec aisance de la lenteur la plus suspendue à la brutalité la plus vive » (Chantal Aubry).
Le studio DM – où désormais chacun des deux chorégraphes signe ses propres pièces - acquiert progressivement une reconnaissance critique, publique et institutionnelle : les spectacles font la une des festivals les plus prestigieux d'Europe (Avignon, Montpellier, SIGMA à Bordeaux, Sringdance à Utrecht, Glashuset à Stockholm, Festwoch à Berlin…), et sont montés grâce à différentes coproductions (CAC d'Orléans, Théâtre de la Ville, Quartz de brest, CNDC d'Angers, …).
En 1994, Catherine Diverrès et Bernardo Montet sont nommés codirecteurs du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne, que Catherine Diverrès continuera à diriger seule à compter de 1998. Ce qui, peut-être, détermine le plus pertinemment cette période tient probablement à l'incursion de textes poétiques ou philosophiques dans les créations. Si l'incursion de textes n'est certes pas nouvelle dans les œuvres de Catherine Diverrès, du moins prend-elle, dans ces années-là, un tour essentiel dans les enjeux, artistiques comme de réflexion, portés par la chorégraphe. Il paraît nécessaire de souligner l'importance de la pratique de l'écriture chez Catherine Diverrès. Les archives des documents artistiques de la chorégraphe montrent assez l'ampleur et la qualité de son implication dans les éditoriaux des Lettres du CCNRB comme dans les dossiers de création : toutes les notes d'intention des pièces, exclusivement rédigées par elle, témoignent d'une grande exigence et d'une rare clarté de pensée.
L'année 2008 est marquée par le retour au statut de compagnie indépendante, que Catherine Diverrès nomme Association d'octobre. La première pièce créée après le départ du CCNRB, Encor (2010), est une commande de la Biennale de danse de Lyon dont c'est alors la dernière édition pour son fondateur Guy Darmet. C'est d'ailleurs ce dernier qui lui suggérera ce titre, telle une pirouette actée et symbolique à leurs départs respectifs.
En 2012 est créé le solo O Senseï, dansé par Catherine Diverrès. Il s'agit d'une commande du CDC-Les Hivernales, que la chorégraphe conçoit en hommage à Kasuo Ohno, mort en 2010. Ce solo constitue actuellement la seule pièce dansée par Catherine Diverrès. La dernière pièce à ce jour date de 2013 : Penthesilée, créée au Théâtre Anne de Bretagne, renoue avec le format de pièce de groupe, en réunissant sur scène une équipe de neuf danseurs.
Source : Alice Gervais-Ragu
Fruits
Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne
Fruits
Chorégraphie : Catherine Diverrès
Interprétation : Alessandro Bernardeschi, Giovanni Cedolin, Fabrice Dasse, Carole Gomes, Osman Kassen Khelili, Benita Kuni, Cécile Loyer, Tamara Stuart Ewing, Paul Wenninger, Tomoko Wenninger en alternance avec Barbara Falco
Scénographie : Daniel Jeanneteau
Musique originale : Eiji Nakazawa
Musique additionnelle : extraits de " Concerto funèbre " de Karl-Amadeus Hartmann et " Trois Cahiers d'étude pour piano (n° 12) " d'Alexandre Scriabine
Lumières : Dominique Bruguière assistée de Pierre Gaillardot
Costumes : Cidalia da Costa
Durée : 130 minutes
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