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Deborah Hay, Solo

Deborah Hay, Solo

Deborah Hay, Solo

Solo de Deborah Hay, représentée les 13 et 23 octobre 1966, n’est pas à proprement parler un solo mais une pièce chorégraphique pour 16 danseurs, 8 plates-formes téléguidées et leurs opérateurs. Chaque danseur semble toutefois suivre une déambulation solitaire qui ne rencontre qu’épisodiquement celle des autres, quand il n’est pas isolé sur une plate-forme.
C’est un voyage au Japon, effectué lors d’une tournée avec la compagnie de Merce Cunningham, qui est à l’origine de cette performance. Impressionnée par le théâtre nô, Deborah Hay voulut intégrer à son travail la lenteur, la simplicité, la suspension propres à la tradition japonaise. La danseuse, qui a régulièrement collaboré avec Steve Paxton, Robert Rauschenberg et son époux Alex Hay, offre ici une des pièces les plus dépouillées des 9 Evenings. Mais son minimalisme n’est pas dénué d’humour. En bordure de piste, un chef d’orchestre dirige les opérateurs chargés de piloter les plates-formes sur lesquelles les danseurs se dressent ou s’affalent. Assis sous des antennes géantes, ces opérateurs ont l’air de dactylos impassibles. Les danseurs, eux, semblent former une nébuleuse d’atomes à la trajectoire hésitante. Leur économie de mouvement atteint son paroxysme lorsque ce sont les plates-formes qui les baladent à travers la scène, dignes comme des Apollon ou raides comme des planches. 


Source : Sylvain Maestraggi

Hay, Deborah

Au début des années 1960, Deborah Hay étudie la danse auprès de Mia Slavenska et Merce Cunningham. En 1964, elle participe à une tournée internationale avec la compagnie de ce dernier. Elle se joint ensuite au Judson Dance Theater comme interprète et chorégraphe. À l’instar de ses collaborateurs, Hay tente de brouiller la ligne franche séparant traditionnellement les danseurs des non-danseurs. 

 En 1970, elle quitte New York et poursuit sa démarche dans une commune au Vermont. Lors de cette période, son travail n’est plus présenté devant un public, mais conçu uniquement pour ceux qui exécutent la partition chorégraphique (les Circle Dances de 1971 à titre d’exemple). En 1976, Hay élit domicile à Austin (Texas, États-Unis) où elle développe des ateliers destinés à faire se côtoyer plusieurs états psychiques chez le danseur. Les observations colligées lors de ces périodes de formation sont alors distillées dans des solos devenus le mode d’écriture privilégiée de Hay. En 2000, elle conçoit cependant un duo interprété avec le chorégraphe Mikhail Baryshnikov dans le cadre du projet Past/Forward (cycle de spectacles mettant à jour les partitions chorégraphiques du Judson Group Theatre, entre autres). De plus, Hay crée de nouveau ponctuellement des chorégraphies de groupe (dont « O,O » en 2006), basées sur la réinterprétation d’un solo de la chorégraphe par plusieurs interprètes d’horizons divers.
 

Source :  Vincent Bonin © 2006 FDL

En savoir plus :

[Documents disponibles dans la collection sur Deborah Hay...] 

http://www.deborahhay.com/

Vincent Bonin © 2006 FDL

Solo

Direction artistique / Conception : Deborah Hay

Interprétation : Lucinda Childs, William Davis, Suzanne de Maria, Lette Eisenhauer, Walter Gelb, Alex Hay, Deborah Hay, Margaret Hecht, Ed Iverson, Julie Judd, Olga Klüver, Vernon Lobb, Steve Paxton, Joe Schlichter, Carol Summers

Lumières : Jennifer Tipton, Beverly Emmons (assistant)

Décors : Larry Heilos

Direction technique : Larry Helios, Witt Wittnebert

9 Evenings : Theatre & Engineering

9 Evenings : Theatre & Engineering est une série de dix films consacrés aux dix performances légendaires qui ont eu lieu à New York en octobre 1966. Point d’orgue du foisonnement créatif new-yorkais des années 1950-60, les 9 Evenings représentent un moment charnière du rapprochement entre art et technologie, et de l’invention de nouvelles formes de composition et de performance.

C’est à la complicité de Billy Klüver, ingénieur au centre de recherches Bell Laboratories, avec le plasticien Robert Rauschenberg que l’on doit 9 Evenings : Theatre & Engineering, une série de performances qui furent présentées à l’Arsenal du 69e Régiment de New York, entre le 13 et le 23 octobre 1966. L’enjeu était simple : mettre à la disposition d’une dizaine d’artistes le savoir-faire d’une équipe d’ingénieurs des laboratoires Bell, pour leur permettre de réaliser, grâce à des moyens technologiques de pointe, “la performance de leur rêve”. Projecteurs, caméras vidéo, transistors, amplificateurs, électrodes et oscilloscopes firent ainsi leur entrée sur scène au service de visions ambitieuses, futuristes, iconoclastes ou poétiques – qui toutes furent filmées en noir et blanc et en couleur. Lorsque ces films furent retrouvés en 1995, Billy Klüver décida en collaboration avec Julie Martin et la réalisatrice Barbro Schultz Lundestam, de produire une série de documentaires restituant ce qui s’était produit sur scène et lors de la préparation des performances. Ainsi le matériau original fut-il complété par des entretiens avec les protagonistes de chaque performance (artistes et ingénieurs), des images d’archives et quelques invités prestigieux. Les 9 Evenings allaient pouvoir retrouver leur place dans l’histoire de l’art.

Or, les artistes le rappellent eux-mêmes, ces performances s’inscrivent de manière déterminée dans l’évolution de l’art aux Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Sans remonter jusqu’à Jackson Pollock, évoqué par Lucinda Childs, qui, en plaçant le geste au cœur de la peinture ouvrit la voie à un art de l’action, le parrainage de Merce Cunningham, John Cage et Robert Rauschenberg est de première importance dans le développement de ce qui sera présenté sur scène. C’est au Black Mountain College, où enseignait Cage, qu’eut lieu en 1952 le premier happening auquel participèrent Rauschenberg et Cunningham, ainsi que David Tudor, que l’on retrouve dans les 9 Evenings.

Une des spécificités de cet événement était de rassembler librement différentes disciplines artistiques sur une même scène, en renonçant au caractère narratif de la représentation théâtrale. La plupart des artistes invités à participer au 9 Evenings sont issus du Judson Dance Theater, un collectif réuni dans l’église Judson à New York et constitué de disciples de Merce Cunningham. Les préceptes de John Cage leur étaient enseignés par Robert et Judith Dunn, et Rauschenberg, directeur artistique de la compagnie de Cunningham, les assistait dans l’organisation de leurs spectacles. Rauschenberg s’initia lui-même à la danse dans les années 1960 et réalisa certaines performances avec Carolyn Brown, Steve Paxton, Deborah et Alex Hay.

Transversalité, mélange de danseurs et de non-danseurs, interaction avec des objets, abandon de la technicité de la danse au profit de l’observation des gestes du quotidien, sont autant de caractéristiques du Judson Dance Theater que l’on retrouve dans les 9 Evenings. Trouver un nouveau rapport entre l’art et la vie, telle était l’injonction de Cage et Rauschenberg. Sur l’immense plateau de l’Arsenal, la technologie mise au service des artistes va permettre d’intégrer toutes sortes de sons et d’images venus de l’extérieur et la danse va s’effacer pour laisser place à un nouveau genre de pantomime appelé performance.

La technologie des ingénieurs de Bell est elle-même un de ces éléments du monde extérieur. Les artistes choisissent de la mettre en scène ou de l’escamoter au profit de compositions tirées de leur imagination. Chez les musiciens, Cage et Tudor, c’est une débauche de câbles, chez Alex et Deborah Hay, une atmosphère expérimentale proche de la science-fiction, chez Lucinda Childs, un dispositif empreint de modernisme. Rauschenberg et Robert Whitman proposent des formes plus directement empruntées à notre environnement quotidien : l’un change le plateau en terrain de tennis, l’autre y fait pénétrer des automobiles. Dans ces performances, comme dans celle d’Öyvind Fahlström, qui foisonne de “deus ex machina”, la technologie conserve son rôle ancestral de machine de scène.

Si l’amplification du son et la projection sur écran constituent une nouveauté, les tableaux dressés par ces artistes appartiennent encore à l’univers du théâtre. Théâtrale également, la séparation entre la scène et le public qui n’est abolie qu’une seule fois par Steve Paxton, avec ses structures gonflables dans lesquelles les spectateurs sont amenés à se promener. Ce qui nous écarte du théâtre toutefois, c’est l’absence de texte ou de parole (à l’exception d’Öyvind Fahlström). La performance n’est pas ordonnée à un récit, elle invente ses propres unités de temps et d’action. D’où la tension dont témoignent certains artistes qui ignoraient parfois la durée de leur spectacle ou doutent encore de sa cohérence. La performance est un art du risque qui se joue dans l’instant.

Enfin, grâce à la technologie, on voit émerger tout un nouveau monde d’images. Cette vie qu’il appartient à l’artiste de réconcilier avec l’art est faite non seulement de gestes, mais aussi d’images de télévision et de cinéma, d’images documentaires ou de publicité, d’images-fantasmes ou d’images-messages. C’est flagrant chez Yvonne Rainer et Robert Whitman. Le monde qui pénètre sur scène est celui de la société de consommation et de ses objets fétiches : radios, télécommandes, ventilateurs, aspirateurs, machines à écrire. Le règne de l’automatisme et de l’interrupteur. Que l’entreprise qui met à disposition ses ingénieurs soit une compagnie de téléphone laisse songeur quant à l’avenir de ces techniques. Mais à la différence du pop art, qui s’empare au même moment des emblèmes et des rites de la société américaine, et même si la plupart des performances ont une dimension ludique, on discerne, en filigrane des 9 Evenings, comme un soupçon critique à l’égard de ce nouvel environnement. Cela éclate chez Öyvind Fahlström, qui livre un pamphlet contre l’idéal conformiste des Etats-Unis. Mais il n’est pas tout à fait isolé. La foule spectrale filmée à la caméra infrarouge chez Rauschenberg, le visage bardé d’électrodes de l’artiste cobaye Alex Hay, le monde synthétique de Steve Paxton laissent filtrer une certaine inquiétude. Imitant la condition de l’ouvrier ou du consommateur, le corps du danseur renonce à toute agilité pour n’être plus qu’un opérateur dans un dispositif, voire une simple chose déplacée sur un socle comme chez Deborah Hay.

Durant ces dix jours, les ingénieurs et les artistes des 9 Evenings auront transformé l’immense voûte de l’Arsenal en caverne de Platon, où le public sera venu admirer les reflets dispersés du monde moderne. Si la tristesse de l’ère industrielle vient de ce que la technique nous dépossède de la réalité, à travers ces dix propositions, la performance s’est affirmée comme un genre libre et onirique, capable de puiser dans la rumeur dudit monde – fût-elle électrique – un matériau neuf à transfigurer.


Source : Sylvain Maestraggi (Texte publié dans Images de la culture n°29, février 2015)

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