Steve Paxton, Physical Things
2008
Chorégraphe(s) : Paxton, Steve (United States)
Présentée dans la/les collection(s) : Ministère de la Culture , CNC - Images de la culture
Producteur vidéo : EAT, B. Schultz Lundestam, Billy Klüver & Julie Martin
Steve Paxton, Physical Things
2008
Chorégraphe(s) : Paxton, Steve (United States)
Présentée dans la/les collection(s) : Ministère de la Culture , CNC - Images de la culture
Producteur vidéo : EAT, B. Schultz Lundestam, Billy Klüver & Julie Martin
Steve Paxton, Physical Things
Les 13 et 19 octobre 1966, Steve Paxton investit la grande salle de l’Arsenal du 69e Régiment de New York avec une gigantesque structure gonflable en polyéthylène : un ensemble composé de longs tunnels, d’une salle et d’une tour, à travers lesquels les spectateurs sont invités à se déplacer. Equipé d’une petite radio de poche, chacun peut saisir les ondes d’une bande sonore composée par Robert Ashley.
Cette œuvre participative est apparue à Steve Paxton dans son sommeil. Elle marque l’apogée et la fin d’une série de performances réalisées par l’artiste avec des structures gonflables. L’idée chère au Judson Dance Theater de repousser la limite entre danseurs et non-danseurs atteint ici une forme radicale, puisque la place entière est laissée au public, libre de déambuler à travers un environnement conçu par le chorégraphe. Ce dédale de boyaux synthétiques, intitulé Physical Things, propose toutefois une série d’expériences qui ont un rapport avec le corps et sa perception intime. En certains points du parcours émergent de la foule des visions anatomiques : une jeune femme couverte de cristaux liquides, colorés par sa circulation sanguine, des morceaux de chair en mouvement isolés par un voile noir, des jumeaux observant les passants. Tandis que dans la tour le public est exposé à un bourdonnement continu, dans la salle sont projetées sur un arbre artificiel des images de la nature.
Source : Sylvain Maestraggi
Paxton, Steve
De la post-modern dance au contact improvisation
Trouver de nouvelles voies
Steve Paxton (1939) est l'un des chorégraphes les plus radicaux de la post-modern dance américaine et le fondateur du contact improvisation. Il est né à Tucson, en Arizona, où il reçoit une formation de gymnaste ; il s'initie parallèlement à la danse classique et à la technique Graham. En 1958, il s'installe à New York et suit l'enseignement de José Limon et de Merce Cunningham. Un an plus tard, il danse dans la compagnie de José Limon. Il participe aux ateliers de composition de Robert Dunn dès 1960, et fait partie de la compagnie de Merce Cunningham de 1961 à 1965.
Steve Paxton participe à l'émergence du Judson Dance Theater. Comme beaucoup de danseurs de cette époque, il s'ouvre aux dispositifs mis en place par des plasticiens et s'en inspire pour créer ses pièces. Il se donne pour enjeu de faire perdre ses habitudes au public. Cette volonté de ne jamais s'enfermer dans une routine est constante chez lui, que ce soit au niveau de la création artistique ou des pratiques corporelles(1).
Une démarche sans concession
Steve Paxton participe également au collectif d'improvisation The Grand Union de 1970 à 1976, dans lequel se retrouvent Becky Arnold, Trisha Brown, Barbara Dilley, Douglas Dunn, David Gordon, Nancy Lewis, Yvonne Rainer et Lincoln Scott. Questionnant sa pratique au sein du Grand Union, Steve Paxton réfléchit à une forme d'improvisation où les performers sont solidaires. Il élabore les principes fondateurs du contact improvisation dont la pratique se développe rapidement aux Etats-Unis puis, à la fin des années 1970, en Europe.
Soucieux de trouver un rapport cohérent entre la vie, la société et l'art, il choisit d'être le moins dépendant possible des conditions économiques. Dans cette optique, il ne fonde pas de compagnie stable et s'installe dans une ferme du Vermont. Il fait alterner la mise en œuvre de pièces improvisées, la participation à des improvisations, les collaborations avec d'autres danseurs (Simone Forti, Anne Kilcoyne, Lisa Nelson), et l'enseignement.
Des œuvres engagées dans l'art et dans la vie
La marche de l'homme et celle du poulet : s'emparer du réel
Steve Paxton s'intéresse au fonctionnement du corps, à ses réflexes et à une économie du mouvement qui implique à la fois un savoir et une disponibilité. Dès l'époque du Judson Dance Theater, il travaille à partir du mouvement quotidien, qualifié en américain de « pedestrian movement »(2). Sa première pièce, « Proxy » (1961) commence par une série de marches et met en scène des actions ordinaires : l'un des danseurs boit un verre d'eau alors qu'un autre mange une poire. Dans « Smiling » (1968), deux intervenants sourient pendant cinq minutes. La marche est une thématique forte pour Steve Paxton à ses débuts. Dans « Satisfyin' Lover » (1967), quarante personnes, réparties en six groupes, traversent la scène en marchant du côté cour au côté jardin.
Steve Paxton s'interroge sur l'usage du corps et sur l'image qu'il véhicule. Il fait souvent appel à des amateurs et, parfois à des animaux : chien (« Some Notes of Performance », 1967), poulets (« Somebody Else », 1967) ou lapins (« Title Lost Tokyo », 1964). Dans « Beautiful Lecture » (1968), il exécute de petits gestes entre deux surfaces de projection proposant respectivement une séquence de film pornographique et un extrait filmé du « Lac des cygnes » ; une bande-son diffuse parallèlement un texte sur les similitudes entre l'activité sexuelle et la danse classique.
Plusieurs pistes de recherche
Dans les années 1960, Steve Paxton suit diverses pistes de travail. En dehors de la marche et des gestes ordinaires, il s'intéresse aux environnements des danses et crée des structures gonflables qui constituent un décor mouvant : tunnel de trente mètres de long dans « The Deposits » (1966) ou énorme dispositif, évoquant le système digestif humain, que les spectateurs traversent dans « Physical Things » (1966).
Dans les années 1970, Steve Paxton propose des moments d'improvisation qu'il intitule « Dancing » (à partir de 1973), puis « With David Moss » (percussionniste qui participe aux improvisations à partir de 1974). En 1986, Steve Paxton se confronte à la musique de Jean-Sébastien Bach et conçoit « Goldberg Variations », qu'il danse pendant huit ans. Après la mort de son père, il crée « Ash » en 1997, présenté à Paris au Théâtre de la Bastille l'année suivante.
Art et politique : quels rapports sociaux et quelles formes d'organisation artistique ?
Steve Paxton est l'un des artistes les plus politiques de la post-modern dance. Tout au long de son parcours, il cherche à brouiller les frontières entre ordinaire et extraordinaire, intérieur et extérieur, art et organisation sociale. Les années 1960 sont une période de contestation où l'on cherche à créer de nouvelles formes de rapport entre les gens. Les préoccupations politiques de Steve Paxton se repèrent autant dans ses propositions scéniques que dans ses méthodes de travail et d'enseignement. Il tient à se démarquer des modes de fonctionnement où les chorégraphies sont « créées sur un mode militaire, avec un commandement, une hiérarchie »(3). Ses pièces relèvent essentiellement de l'improvisation et, même si leur cadre est clairement défini, elles ne sont pas « écrites » au sens traditionnel du terme.
Dans le travail corporel, Steve Paxton se démarque du procédé d'imitation où une personne reproduit la gestuelle d'une autre personne. Il ne sépare pas la danse de la société et certaines de ses pièces se réfèrent explicitement au monde politique. Il utilise des films sur la famine du Biafra, le Vietnam ou des discours du président des Etats-Unis pour souligner la cruauté de certains événements sociaux (« Collaboration with Wintersoldier », 1971 ; « Air », 1973). Steve Paxton s'attache à une conception démocratique du corps et de la relation à autrui, notamment dans le contact Improvisation.
Le contact improvisation : une « forme de mouvement communicative »
Des partages d'expérience par des transferts de poids
Steve Paxton définit ainsi le contact improvisation : « Associable à des formes familières de duos : l'accolade, la lutte, les arts martiaux ou le jitterbug(4), le contact improvisation peut aller de l'immobilité à des performances hautement athlétiques. La forme exige des danseurs qu'ils soient détendus, alertes, en état d'éveil constant, et qu'ils portent attention à la fluidité naturelle du mouvement. En contact les uns avec les autres, ils se mettent en état de créativité et de support mutuel, méditant les lois de la physique relatives à leur masse : gravité, momentum(5), inertie et friction. Ils ne visent pas à des résultats spécifiques mais à s'adapter au caractère changeant de la réalité physique par la posture et l'énergie appropriées »(6).
Le toucher et l'équilibre (évidemment apparié au déséquilibre) sont les bases de l'improvisation et de l'échange des informations entre les partenaires. Toute partie du corps peut être en contact avec une autre, excepté les mains. Ce dispositif permet de tracer de nouveaux trajets corporels.
Des sens multiples sont mis en jeu
Les ateliers de contact improvisation peuvent être présentés à un public, mais la présence de ce dernier ne doit pas modifier le travail perceptif. Ouvert aussi à d'autres personnes que les danseurs, le contact improvisation refuse les modèles à reproduire et leur préfère une expérimentation du poids, de l'espace et du temps produisant un mouvement « menant à des phrasés, des positions et des enchaînements imprévus »(7). Dans les premières années, Steve Paxton recherche avant tout une « forme de mouvement communicative ». Par la suite, le contact Improvisation est une « pratique physique alliée à un certain nombre d'études nouvelles sur le corps et l'esprit »(8). C'est une recherche incessante sur la diversité des sens et de la perception.
Depuis les années 1990, Steve Paxton est régulièrement invité en Europe, notamment en Belgique, pour participer à des événements autour de l'improvisation ou pour enseigner. En France, Didier Silhol et Mark Tompkins introduisent le contact improvisation à la fin des années 1970. L'association Canal Danse organise régulièrement des jams d'improvisation, invite des pédagogues et se montre très active dans le développement du contact improvisation à Paris. Par ailleurs, le Quatuor Albrecht Knust(9) remonte « Satisfyin' Lover » en 1996.
Geisha Fontaine (2006)
(1) Steve Paxton écrit : « Nous devons utiliser ce que nous sommes devenus de telle façon que cet acquis ne nous soumette pas à la reproduction automatique de ce que nous sommes déjà » (Steve Paxton, « L'Art des sens », Mouvement, septembre 1998, p. 31).
(2) Le premier sens de « pedestrian » est : piéton (le mot signifie aussi : familier, plat).
(3) M.-C. Vernay, « Paxton, l'impromptu danseur », Libération, 28 octobre 1998, p. 32.
Source : Centre national de la danse
Physical Things
Direction artistique / Conception : Steve Paxton
Interprétation : Karen Bacon; Bill Finley; Sue Harnett; Margaret Hecht; Michael Kirby; Clark Poling; Phyllis Santis; Elaine Sturtevant; David White; David Whitney and several other anonymous participants
Lumières : Jennifer Tipton, Beverly Emmons (assistant)
Autres collaborations : Karen Bacon; Walter Gebb; John Giorno; Margaret Hecht; Tony Holder; Larry Leitc (technical assistance)
9 Evenings : Theatre & Engineering
9 Evenings : Theatre & Engineering est une série de dix films consacrés aux dix performances légendaires qui ont eu lieu à New York en octobre 1966. Point d’orgue du foisonnement créatif new-yorkais des années 1950-60, les 9 Evenings représentent un moment charnière du rapprochement entre art et technologie, et de l’invention de nouvelles formes de composition et de performance.
C’est à la complicité de Billy Klüver, ingénieur au centre de recherches Bell Laboratories, avec le plasticien Robert Rauschenberg que l’on doit 9 Evenings : Theatre & Engineering, une série de performances qui furent présentées à l’Arsenal du 69e Régiment de New York, entre le 13 et le 23 octobre 1966. L’enjeu était simple : mettre à la disposition d’une dizaine d’artistes le savoir-faire d’une équipe d’ingénieurs des laboratoires Bell, pour leur permettre de réaliser, grâce à des moyens technologiques de pointe, “la performance de leur rêve”. Projecteurs, caméras vidéo, transistors, amplificateurs, électrodes et oscilloscopes firent ainsi leur entrée sur scène au service de visions ambitieuses, futuristes, iconoclastes ou poétiques – qui toutes furent filmées en noir et blanc et en couleur. Lorsque ces films furent retrouvés en 1995, Billy Klüver décida en collaboration avec Julie Martin et la réalisatrice Barbro Schultz Lundestam, de produire une série de documentaires restituant ce qui s’était produit sur scène et lors de la préparation des performances. Ainsi le matériau original fut-il complété par des entretiens avec les protagonistes de chaque performance (artistes et ingénieurs), des images d’archives et quelques invités prestigieux. Les 9 Evenings allaient pouvoir retrouver leur place dans l’histoire de l’art.
Or, les artistes le rappellent eux-mêmes, ces performances s’inscrivent de manière déterminée dans l’évolution de l’art aux Etats-Unis après la Seconde Guerre mondiale. Sans remonter jusqu’à Jackson Pollock, évoqué par Lucinda Childs, qui, en plaçant le geste au cœur de la peinture ouvrit la voie à un art de l’action, le parrainage de Merce Cunningham, John Cage et Robert Rauschenberg est de première importance dans le développement de ce qui sera présenté sur scène. C’est au Black Mountain College, où enseignait Cage, qu’eut lieu en 1952 le premier happening auquel participèrent Rauschenberg et Cunningham, ainsi que David Tudor, que l’on retrouve dans les 9 Evenings.
Une des spécificités de cet événement était de rassembler librement différentes disciplines artistiques sur une même scène, en renonçant au caractère narratif de la représentation théâtrale. La plupart des artistes invités à participer au 9 Evenings sont issus du Judson Dance Theater, un collectif réuni dans l’église Judson à New York et constitué de disciples de Merce Cunningham. Les préceptes de John Cage leur étaient enseignés par Robert et Judith Dunn, et Rauschenberg, directeur artistique de la compagnie de Cunningham, les assistait dans l’organisation de leurs spectacles. Rauschenberg s’initia lui-même à la danse dans les années 1960 et réalisa certaines performances avec Carolyn Brown, Steve Paxton, Deborah et Alex Hay.
Transversalité, mélange de danseurs et de non-danseurs, interaction avec des objets, abandon de la technicité de la danse au profit de l’observation des gestes du quotidien, sont autant de caractéristiques du Judson Dance Theater que l’on retrouve dans les 9 Evenings. Trouver un nouveau rapport entre l’art et la vie, telle était l’injonction de Cage et Rauschenberg. Sur l’immense plateau de l’Arsenal, la technologie mise au service des artistes va permettre d’intégrer toutes sortes de sons et d’images venus de l’extérieur et la danse va s’effacer pour laisser place à un nouveau genre de pantomime appelé performance.
La technologie des ingénieurs de Bell est elle-même un de ces éléments du monde extérieur. Les artistes choisissent de la mettre en scène ou de l’escamoter au profit de compositions tirées de leur imagination. Chez les musiciens, Cage et Tudor, c’est une débauche de câbles, chez Alex et Deborah Hay, une atmosphère expérimentale proche de la science-fiction, chez Lucinda Childs, un dispositif empreint de modernisme. Rauschenberg et Robert Whitman proposent des formes plus directement empruntées à notre environnement quotidien : l’un change le plateau en terrain de tennis, l’autre y fait pénétrer des automobiles. Dans ces performances, comme dans celle d’Öyvind Fahlström, qui foisonne de “deus ex machina”, la technologie conserve son rôle ancestral de machine de scène.
Si l’amplification du son et la projection sur écran constituent une nouveauté, les tableaux dressés par ces artistes appartiennent encore à l’univers du théâtre. Théâtrale également, la séparation entre la scène et le public qui n’est abolie qu’une seule fois par Steve Paxton, avec ses structures gonflables dans lesquelles les spectateurs sont amenés à se promener. Ce qui nous écarte du théâtre toutefois, c’est l’absence de texte ou de parole (à l’exception d’Öyvind Fahlström). La performance n’est pas ordonnée à un récit, elle invente ses propres unités de temps et d’action. D’où la tension dont témoignent certains artistes qui ignoraient parfois la durée de leur spectacle ou doutent encore de sa cohérence. La performance est un art du risque qui se joue dans l’instant.
Enfin, grâce à la technologie, on voit émerger tout un nouveau monde d’images. Cette vie qu’il appartient à l’artiste de réconcilier avec l’art est faite non seulement de gestes, mais aussi d’images de télévision et de cinéma, d’images documentaires ou de publicité, d’images-fantasmes ou d’images-messages. C’est flagrant chez Yvonne Rainer et Robert Whitman. Le monde qui pénètre sur scène est celui de la société de consommation et de ses objets fétiches : radios, télécommandes, ventilateurs, aspirateurs, machines à écrire. Le règne de l’automatisme et de l’interrupteur. Que l’entreprise qui met à disposition ses ingénieurs soit une compagnie de téléphone laisse songeur quant à l’avenir de ces techniques. Mais à la différence du pop art, qui s’empare au même moment des emblèmes et des rites de la société américaine, et même si la plupart des performances ont une dimension ludique, on discerne, en filigrane des 9 Evenings, comme un soupçon critique à l’égard de ce nouvel environnement. Cela éclate chez Öyvind Fahlström, qui livre un pamphlet contre l’idéal conformiste des Etats-Unis. Mais il n’est pas tout à fait isolé. La foule spectrale filmée à la caméra infrarouge chez Rauschenberg, le visage bardé d’électrodes de l’artiste cobaye Alex Hay, le monde synthétique de Steve Paxton laissent filtrer une certaine inquiétude. Imitant la condition de l’ouvrier ou du consommateur, le corps du danseur renonce à toute agilité pour n’être plus qu’un opérateur dans un dispositif, voire une simple chose déplacée sur un socle comme chez Deborah Hay.
Durant ces dix jours, les ingénieurs et les artistes des 9 Evenings auront transformé l’immense voûte de l’Arsenal en caverne de Platon, où le public sera venu admirer les reflets dispersés du monde moderne. Si la tristesse de l’ère industrielle vient de ce que la technique nous dépossède de la réalité, à travers ces dix propositions, la performance s’est affirmée comme un genre libre et onirique, capable de puiser dans la rumeur dudit monde – fût-elle électrique – un matériau neuf à transfigurer.
Source : Sylvain Maestraggi (Texte publié dans Images de la culture n°29, février 2015)
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