La relecture des œuvres
2018 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien
Chorégraphe(s) : Ek, Mats (Sweden) Bourne, Matthew (United Kingdom) Maillot, Jean-Christophe (France) De Groat, Andy (United States) Hoghe, Raimund (Germany) Orlin, Robyn (South Africa)
Giselle
Chauviré, Yvette (Italy)
2005 - Réalisateur-rice : Protasoni, Tina
Chorégraphe(s) : Chauviré, Yvette (France) Coralli, Jean (Italy) Clerc, Florence (France) Perrot, Jules (France)
Producteur vidéo : ARTHAUS Musik, Teatro alla Scala, Rai Trade
Le Lac des Cygnes - Acte II
Makarova, Natalia (France)
2010 - Réalisateur-rice : Picq, Charles
Chorégraphe(s) : Makarova, Natalia (Russian Federation) Ivanov, Lev (Russian Federation) Petipa, Marius (France)
Producteur vidéo : Maison de la Danse de Lyon
Vidéo intégrale disponible à la Maison de la danse de Lyon
Swan Lac
De Groat, Andy (France)
1982 - Réalisateur-rice : Picq, Charles
Chorégraphe(s) : De Groat, Andy (United States)
Producteur vidéo : Maison de la Danse
Swan Lake
Hoghe, Raimund (France)
2005 - Réalisateur-rice : Picq, Charles
Chorégraphe(s) : Hoghe, Raimund (Germany)
Producteur vidéo : Maison de la Danse
La relecture des œuvres
2018 - Réalisateur-rice : Plasson, Fabien
Chorégraphe(s) : Ek, Mats (Sweden) Bourne, Matthew (United Kingdom) Maillot, Jean-Christophe (France) De Groat, Andy (United States) Hoghe, Raimund (Germany) Orlin, Robyn (South Africa)
Auteur : Anne Décoret-Ahiha
Découvrir
Le Lac des cygnes, vous connaissez ? Assurément. Et le prénom Giselle, écrit avec deux « l », vous dit-il quelque chose ? Très certainement ! L'un et l'autre font partie des grands ballets du répertoire chorégraphique qui, bien que crées au XIX° siècle, continuent d'être dansés dans le monde entier. Mais si le spectateur d'aujourd'hui en connaît l'histoire ou la partition musicale, sait-il, en prenant son ticket pour Le Lac des cygnes ou pour Giselle, à quelle version de l'œuvre il vient assister ? C'est que ces ballets, devenus des classiques du genre, ont fait l'objet de relectures. Des chorégraphes ont entrepris de les revisiter, d'en explorer les thèmes pour en livrer une interprétation toute personnelle, parfois très éloignée de l'original.
Cette démarche doit beaucoup à l'essor de la danse contemporaine qui promeut l'idée d'une danse d'auteur, affirmant un langage chorégraphique singulier, propre à chaque artiste. Elle doit aussi beaucoup aux conceptions de Rudolph Noureev pour qui, reprendre à l'identique une œuvre relève d'un conservatisme stérile. Selon lui, une reprise doit proposer une nouvelle lecture et exprimer un point de vue. Et il s'y est employé, en donnant lui-même sa version des plus grands ballets.
Sitôt qu'une œuvre est reprise, n'est-elle pas immanquablement transformée ? Car les corps sont différents et les pas, les figures ne sont plus dansés de la même façon. En remontant un ballet, les chorégraphes s'autorisent aussi des ajouts, des modifications portant sur la partition, les personnages, les séquences… C'est le signe que la danse est vivante ! Et les relectures, aussi décalées puissent-elles être, contribuent assurément à faire vivre le répertoire chorégraphique, et à l'enrichir. Elles attestent que les œuvres dont elles s'emparent traitent de thèmes majeurs, qui se prêtent à de multiples angles de vue.
Description
1. Et Giselle devint folle…
Adolphe Adam / Mats Ek
Giselle, c'est l'histoire d'une jeune paysanne qui s'éprend d'Albert, prince de Silésie, lequel lui a juré fidélité tout en lui mentant sur sa véritable identité. Apprenant sa trahison, elle perd la raison et meurt. Comme les jeunes filles mortes avant leurs noces, Giselle se réincarne alors en Wili, ces êtres fantomatiques qui ressurgissent la nuit, dans la forêt, et se vengent des hommes en les entraînant dans une danse mortelle. Mais elle saura les convaincre d'épargner Albert, rongé par le remords.
Crée en 1841 par Jean Coralli et Jules Perrot, de l'Opéra de Paris, Giselle est un ballet pantomime. Il comporte des scènes non dansées mais mimées qui ont pour vocation de faire progresser la narration. C'est le cas de cet extrait, tiré de la version classique remaniée par Yvette Chauviré pour la Scala. Hilarion, le garde chasse épris de Giselle, lui révèle la supercherie dont elle est victime. « Tu aimes cet homme, lui dit-il, et bien, regarde, il n'est pas celui que tu crois ». Il démasque alors son rival en brandissant l'épée dissimulée par le prince, comme preuve de son rang. Puis il sonne l'arrivée de la cour. Bathilde, qui doit prochainement épouser Albert, s'étonne de le trouver ici. Découvrant leurs gestes tendres, Giselle s'affole. « Voyez, dit-elle à Bathilde en pointant son annulaire. Cet homme a juré de passer bague à mon doigt ». « Détrompez vous, lui répond avec mépris la noble fiancée. C'est à moi qu'il a promis l'alliance ». Terrassée par cette vérité, Giselle s'effondre.
Dans la relecture de Mats Ek, point de gestes codifiés. Le premier acte se termine sur un triste de pas de deux où Giselle tente, avec la maladresse du désespoir, d'étreindre l'homme qu'elle aime. Elle esquisse les pas et figures qu'elle avait dansés avec lui, quand il la courtisait. Puis, refusant le secours d'Hilarion, elle s'enferme dans des mouvements répétitifs, s'isole dans une danse de furie. Sa raison vacille. Ici, point non plus de prince et de cour. Le chorégraphe suédois a transposé l'action dans un contexte plus récent et plus réaliste. Albert est un homme de la ville, un mondain. Pour s'amuser, il a séduit une jeune fille de la campagne, simple d'esprit, naïve mais sincère et généreuse. L'univers fantastique du second acte se mue en étude de l'aliénation mentale. Car sombrant dans la folie, Giselle ne meurt pas. Elle est internée dans un asile psychiatrique. Sous la surveillance des infirmières, elle rejoint les folles Willis dont les blancs tutus ont fait place aux camisoles de force. Poussé par le repentir, Albert vient lui rendre visite tandis qu'Hilarion assiste, impuissant, à son errance psychique.
2. Les métamorphoses du cygne
L'Opéra National de Perm / Matthew Bourne / Jean-Christophe Maillot
Le Lac des Cygnes propose aussi des dénouements différents, selon l'une ou l'autre des versions représentées. Et elles sont nombreuses. La chorégraphie de Marius Petipa et Lev Ivanov, en 1895, à Saint Pétersbourg, a connu de nombreux remaniements qui touchèrent à l'ordre des scènes, au final et aux personnages secondaires. La version de Bourmeister de 1953, qui figura longtemps au répertoire de l'Opéra de Paris, possède une fin heureuse, conforme à l'idéologie soviétique de l'époque : les amants se retrouvent et triomphent du mal. Ce n'était pas le cas à l'origine !
Ici, L'Opéra National de Perm présente la version de Makarova. A l'occasion du bal de sa majorité, le prince Siegfried est sommé par la reine de choisir une fiancée. Mais le jeune homme aspire à une liberté dont le privent ses obligations. Un soir, il se réfugie au bord d'un lac où il croise des femmes cygnes, victimes d'un génie malfaisant. Il s'éprend de la plus belle d'entre elles, Odette. Apprenant que seul un amour éternel la délivrera de ce sortilège, le prince lui jure fidélité. Le sorcier Rothbart est bien décidé à compromettre ce plan. Il se présente au bal, au bras de sa fille Odile - le cygne noir - à qui il a donné les traits d'Odette. Croyant reconnaître celle dont il est amoureux, Siegfried la désigne comme sa future épouse et trahit, sans le savoir, sa bien aimée.
Voici la scène de séduction du second tableau de l'acte I. Odette déploie toute sa grâce et sa beauté devant Siegfried. C'est la même séquence que l'on retrouve dans cet extrait de Swan Lake. Mais dans la relecture de Matthew Bourne, le cygne a pris des atours masculins. Tout comme le corps de ballet, exclusivement composé d'hommes qui ont troqué le tutu vaporeux pour un pantalon de plumes. Si la chorégraphie emprunte également à la gestuelle de l'oiseau et de l'envol, comme pour les mouvements de bras, c'est avec une coloration bien plus inquiétante. Les cygnes se révèlent à la fois sensuels, virils et menaçants. Car l'émoi du prince, séduit par le cygne, s'accompagne d'une troublante révélation : celle de son homosexualité.
Transposé dans le contexte de la cour d'Angleterre des années cinquante, le ballet met davantage l'accent sur la solitude du personnage principal, incompris, prisonnier des charges qui incombent à son statut. Par ses deux facettes, le cygne représente à la fois le désir et l'angoisse du prince à affirmer sa différence. A son époque, la relecture du chorégraphe anglais fut remarquée pour son audace. Pourtant, Rudolph Noureev avait proposé, dès 1984, une version très psychanalytique, dans laquelle il suggérait, de manière bien moins explicite, l'homosexualité refoulée du prince. Le danseur chorégraphe avait de fait été le premier à faire de Siegfried le sujet principal du ballet et non la femme cygne, comme chez Petipa.
Chez Jean-Christophe Maillot, c'est le sujet même de l'histoire qui est tout autre. Car, dit-il, « Le Lac, soit on le détourne, soit on le subvertit, soit on l'attaque frontalement ». Choisissant la troisième option, il a fait appel au dramaturge Jean Rouaud qui a tiré de l'histoire originelle un récit cosmogonique. Les cygnes se répartissent en deux forces rivales : le jour et la nuit, la vie et la mort, l'animalité et l'humanité. Et si le Blanc et le Noir sont dansés par deux interprètes distinctes, c'est pour montrer que l'un et l'autre portent en eux une dualité. Rothbart est ici représenté sous des traits féminins. Déesse de la nuit, elle a eu du roi une fille illégitime – le cygne noir – qui fut élevée avec le prince et une autre jeune fille. Voyant l'amour naître entre ces deux derniers, elle enlève la blanche demoiselle dans son royaume chimérique et la transforme en volatile. Chose rare, cette métamorphose de la femme en oiseau est signifiée chorégraphiquement.
3. Le cygne comme signe
Andy Degroat / Raimund Hoghe / Robyn Orlin
De prince, d'oiseaux et de sortilège, il n'est plus vraiment question dans les trois relectures suivantes. Car ce n'est pas tant de l'histoire dont se sont emparés ces chorégraphes mais de l'œuvre en elle-même, en tant que monument de l'art chorégraphique. Emblème du classicisme, le Lac se révèle être vecteur de significations sociales et politiques, indépendamment de son argument et de ses protagonistes. Et comme référence absolue du ballet, il donne aussi matière à un traitement purement chorégraphique, qui peut prendre des allures déroutantes. Chez Andy Degroat, cela se traduit par l'utilisation de musique rock en contrepoint de la partition de Tchaïkovski. Un trio de danseurs personnifiant à lui seul les cygnes arpente le plateau dans une marche géométrique, répétitive, tout en voltes face et pivots. Dans la scène suivante, ils suggèrent par leurs costumes les personnages du prince, de son amoureuse et du magicien. Mais leur danse n'a rien d'illustratif. Elle s'articule avec l'impulsion musicale en usant d'emprunts au vocabulaire académique : grands jetés, tours, ports de bras. Par sa radicalité, son langage parfois minimaliste, le chorégraphe américain installé en France livre ainsi une relecture « post moderne » du Lac qui désorienta le public balletomane.
Au Swan Lake de Raimund Hoghe, une partie des spectateurs manifesta la même incompréhension et quitta la salle en plein spectacle. Car le chorégraphe allemand a conçu une version très essorée du ballet, autour d'images symboliques qui opèrent par effet de contraste entre la puissance émotionnelle de la musique et la quasi inaction des interprètes. Comme ici, dans ce porté un peu raide entre le prince et le cygne, où se révèle l'impossibilité de leur relation. Jeune, Hogue a rêvé de danser le « Lac » mais la nature lui a jeté un mauvais sort en l'affublant d'un corps difforme dont il reste à jamais prisonnier. Alors, il en fait le sujet d'un questionnement autour des idéaux et normes de beauté et met en scène les corps de danseurs prestigieux auquel il confronte le sien.
Vecteur d'un idéal esthétique, le Lac des cygnes renvoie aussi en tant qu'œuvre d'art à la culture occidentale blanche. C'est à ce titre que Robyn Orlin s'en saisit, pour décrire la société sud africaine dont elle est originaire. Dans Daddy(…), la chorégraphe ne procède pas à une véritable relecture du ballet mais l'utilise comme évocation de la suprématie blanche sous le régime de l'Apartheid. La danseuse noire qui se saupoudre de farine symbolise la discrimination raciale : sa couleur ne l'exclut-elle pas ipso facto du cortège des cygnes blancs, et par là même, des classes au pouvoir ?
Approfondir
Ouvrage
DOLFUS, Ariane. Noureev : l'Insoumis. Paris : Flammarion, 2007. 531 p. (Biographies, Me).
Articles et revues
« Giselle », in L'Avant-scène : Ballet danse, n° 1, numéro thématique, Paris, L’Avant-scène, 1980. 178 p.
MARMIN, Olivier. « Carlotta et Giselle : une interprète et son rôle », in Lunes, n° 14, Arles, éd. Lunes, janvier 2001. p. 66 – 74.
PIOLLET, Wilfride, GLON, Marie. « Corps de cygnes. », in Repères – Cahier de danse, n°24, Vitry-sur-Seine, La Briqueterie/CDC du Val-de-Marne, novembre 2009. p. 3-8.
Autres relectures
Giselle
- G, Garry Steward, Austrian Dance Theater, 2008.
- Giselle ou le mensonge romantique, Maryse Delente, Ballet du Nord, 1995
- Giselle Créole, Frederic Franklin, Dance Theatre of Harlem, 1984.
- Pour Giselle, Michel Hallet Eghayan, 1982.
Le Lac des Cygnes
- Illusions – comme un Lac des cygnes, John Neumeier, Ballet de Hambourg, 1976
- Le Lac des cygnes, Bertrand d'At, Ballet de l'Opéra national du Rhin, 1998.
- Svansjön, Mats Ek, Ballet Cullberg, 1987.
Auteur
Anne Décoret-Ahiha est anthropologue de la danse, docteur de l'Université Paris 8. Conférencière, formatrice et consultante, elle développe des propositions autour de la danse comme ressource pédagogique et conçoit des processus participatifs mobilisant la corporéité. Elle anime les « Échauffements du spectateur » de la Maison de la Danse.
Générique
Sélection des extraits
Olivier Chervin
Textes et sélection de la bibliographie
Anne Décoret-Ahiha
Production
Maison de la Danse
Le Parcours "La relecture des œuvres" a pu voir le jour grâce au soutien du Secrétariat général du Ministère de la Culture et de la Communication - Service de la Coordination des politiques Culturelles et de l'Innovation (SCPCI)