Une scène artistique hip hop en France
2023 - Réalisateur-rice : Belanger, Juliette
Athina
313 ATHINA [EXTRAITVIMEO].mp4 (France)
1993 - Réalisateur-rice : Picq, Charles
Drop it
Louise, Frank II (France)
2001 - Réalisateur-rice : Bouvier, Mathieu
Chorégraphe(s) : Louise, Frank II (France)
C'est ça la vie !?
Fghani, Riyad (France)
2006
Chorégraphe(s) : Fghani, Riyad (France)
Producteur vidéo : Maison de la Danse;Biennale de Lyon
Vidéo intégrale disponible à la Maison de la danse de Lyon
Amazones
Égéa, Anthony (Amazones [Numerdianse]_1.00x_786x576_alq-12.mp4)
2023 - Réalisateur-rice : Lefay, Magali
Chorégraphe(s) : Égéa, Anthony (France)
Boxe Boxe
Merzouki, Mourad (France)
2010 - Réalisateur-rice : Picq, Charles
Chorégraphe(s) : Merzouki, Mourad (France)
Producteur vidéo : Scène d'écran
Queen Blood
Sy, Ousmane (France)
2019 - Réalisateur-rice : Ocke Studio
Chorégraphe(s) : Sy, Ousmane (France)
In the middle
Motin, Marion (France)
2018 - Réalisateur-rice : Allard, Matthieu
Chorégraphe(s) : Motin, Marion (France)
Producteur vidéo : La Compagnie des Indes
Rite de passage - solo II
Dembélé, Bintou (France)
2022 - Réalisateur-rice : Centre national de la danse, Réalisation
Chorégraphe(s) : Dembélé, Bintou (France)
Producteur vidéo : Centre national de la danse
Vidéo intégrale disponible au CND de Pantin
Une scène artistique hip hop en France
Découvrir
50 ans plus tard, la danse hip-hop s’est forgée une place majeure dans le paysage chorégraphique français.
Comment résumer 40 ans de création hip-hop en quelques extraits vidéo ? La sélection s’avère incontestablement réductrice et ne peut que survoler la curiosité et la créativité inépuisables des danseurs et chorégraphes français.
Dès les années 90 ils s’affranchissent assez vite des codes américains pour revendiquer une « french touch » en faisant valoir leurs origines et leurs valeurs. En écho à la crise des banlieues, et même si le hip-hop se revendique de la rue, on observe le besoin d’une jeunesse d’exister dans les espaces culturels « légitimes », symbolisés par le théâtre public subventionné. Ils veulent donner à voir leurs gestes, leurs techniques – fruit d’un apprentissage rigoureux - et faire entendre leurs voix.
En France la création hip-hop explose au tournant des années 90 grâce à l’intérêt et au soutien de responsables d’institutions, inspirés par cet élan créatif vivifiant. Pour certains la scène signe le passage d’amateur à celui de professionnel. Certaines structures organisent des repérages, accueillent les artistes dans leurs studios de répétitions, produisent des spectacles, programment des évènements dédiés aux « danses urbaines » pour accompagner la structuration de ce mouvement culturel. C’est aussi l’opportunité pour eux de développer une politique culturelle en direction de publics, notamment jeunes, ne fréquentant pas les théâtres.
Description
Exploit et virtuosité
Accrorap, Athina (1994)
Franck II Louise, Drop It (2000)
Pockemon Crew, C’est ça la vie ?! (2006)
Dès 1991, le Centre Pompidou accueille un festival hip-hop organisé par l’association Envol 7. On retrouve entre autres Aktuel Force, Boogie Saı̈ ou Maskot Posse dans la programmation. L’année suivante les Black Blanc Beur créent Rapetipas à l’Opéra Comique, à l’initiative de Christian Tamet, alors directeur du Théâtre Contemporain de la Danse. En juillet 1994 il produit Sobedo dont il confie la mise en scène au collectif Mouv’ au Casino de Paris. La venue de l’américain Doug Elkins invité par le festival Montpellier danse inspire Olivier Meyer à créer le festival Suresnes Cités Danse en 1993. Philippe Mourrat, quant à lui, imagine les Rencontres urbaines de la Villette qui mettront le feu à la Grande Halle jusqu’en 2008. A Lyon, Guy Darmet, directeur de la Maison et de la Biennale de la Danse jusqu’en 2010 et Benoı̂t Guillemont, conseiller action culturelle de la DRAC* de 1983 à 2020 font eux aussi le pari du hip-hop. Après une première édition à Villefranche en 1992, la Maison de la danse accueille trois éditions de Danse Ville Danse (en 1993, 1997 et 2001), un évènement, initié conjointement par le Fond d’Action Sociale, la Direction Régionale des Affaires Culturelles et Inter Service Migrants, qui réunit des collectifs de danseurs venus de toute la France. La compagnie Traction Avant a initié depuis les années 80 un travail de création spécifiquement hip-hop.
Kader Attou, Eric Mezino, Chaouki Saı̈d, Mourad Merzouki font eux aussi partie de cette école lyonnaise préoccupée par la dimension chorégraphique de cette danse. Ils débarquent à Danse Ville Danse en 1993 avec leur compagnie Accrorap et le spectacle Athina. Le hip-hop est alors une danse de l’extériorité, de l’effervescence. Les spectateurs, pour partie des abonnés, pour partie des jeunes venus de la périphérie de Lyon crient, réagissent et rejoignent la scène à la fin de chaque spectacle pour recréer des cercles de danse. Athina enchaı̂ne les figures acrobatiques, les chorégraphies synchronisées et s’appuie sur des agrès – trampoline, échasses, monocycle – puisés de la formation à l’école de cirque de Bel-air à Saint-Priest de Kader et Mourad. Par la suite le détournement d’objets et d’éléments de scénographie seront des principes reconnaissables de leur travail chorégraphique. L’année suivante Guy Darmet accueillera le spectacle dans la programmation de la Biennale de la Danse, au Théâtre de la Croix-Rousse.
Franck II Louise – le breaker fou de l’émission de Sidney sur TF1 et cofondateur du crew Paris City Breakers – a aussi été accueilli sur le plateau de Danse Ville Danse. En 2000 il créé son 2ème spectacle, Drop It, accueilli l’année suivante dans le IN du Festival d’Avignon et souvent cité parmi les pièces marquantes de la création hip-hop. Franck est fasciné par les nouvelles technologies interactives, les univers de science-fiction et la rencontre entre l’homme et la machine. Chaque séquence musicale de Drop It, aussi composée par Franck, engendre simultanément les mouvements et la mise en espace des six danseurs, enfermés dans des sortes de carapaces futuristes, dont ils se libèreront plus tard dans le spectacle. Leurs noms font encore référence aujourd’hui : Michel Onomo « Meech », David Imbert, David Colas, Guillaume Legras… Ils produisent une danse d’effets qui provoque la jubilation du public dans la salle. Le travail singulier de recherche et de composition musicale de Franck II Louise se déploie aujourd’hui dans différents projets chorégraphiques de Anthony Egéa, Kadia Faraux, David Llari et dans des bandes originales de films.
Le Pockemon Crew accède à la notoriété en 2003 en devenant champion du monde de break au Battle of the Year en Allemagne. Emmenés par leur mascotte Lilou les breakers allient défi, surenchère de mouvements, musicalité et font la différence avec leur humour provocateur. Ils font partie des danseurs qui ont rendu célèbre le Parvis de l’Opéra de Lyon dont les portes des studios s’ouvrent petit à petit. Ils poursuivent leur travail de création de shows dans une première création en 2004 et ouvrent la Biennale de la danse de Lyon en 2006 avec C’est ça la vie ?! en première mondiale. Un condensé d’énergie venue de la « street », et du sentiment de l’urgence de danser. Les combinaisons de mouvements se déploient en solo ou à plusieurs et on retrouve ce qui fait leur succès : les gestes techniques originaux travaillés avec discipline, la force du collectif et l’envie de divertir. Plusieurs générations de danseurs ont pris le relais du noyau d’origine et Riyad Fghani assure désormais la direction artistique. Les autres mènent des projets dans le hip-hop en parallèle : Lilou avec Street off, Moncef Zebiri avec sa compagnie Freestyles, Yann Abidi avec la Fédération nationale de Breaking etc.
Hybridations
Rêvolution, Amazones (2003)
Käfig, Boxe Boxe (2010)
BurnOut, Carte Blanche (2016)
Le soutien va de pair avec des recommandations institutionnelles : dramaturgie, rencontre avec d’autres esthétiques, culture chorégraphique, codes de la danse contemporaine…Les chorégraphes hip-hop suivent des stages et des formations. Certains cherchent à sortir de la revendication et de la démonstration. Ils considèrent le hip-hop comme un langage ouvert à des évolutions vers d’autres formes artistiques. Et, alors que le hip-hop avait une dimension collective, sa reconnaissance va faire émerger des individualités.
Anthony Egéa crée la compagnie Rêvolution en 1991, d’abord avec Hamid Ben Mahi aujourd’hui chorégraphe de la compagnie Hors Série. Il se passionne pour la danse classique au début des années 90, grâce à des bourses et à l’école de danse de Cannes. Il cherche dès lors à donner une finition classique à la danse hip-hop. Il combine par exemple l’aérien avec le travail dans le sol et invente ainsi une gestuelle hybride, qu’il transmettra avec sa formation professionnelle à Bordeaux jusqu’en 2021. Quitte à déconcerter certains puristes ! Comme avec Amazones en 2003 où il réfléchit à la place des femmes. 4 danseuses, pieds nus – c’est déjà une révolution - tenues couleur chair près du corps, combinent des mouvements sensuels, des pas de top rock et up rock avec des figures de break techniques : freezes sur les mains, sur la tête, vrilles… En bousculant les stéréotypes d’esthétique et de genre, Anthony Egéa ouvre la danse à de nouvelles possibilités.
Mourad Merzouki quitte ses acolytes d’Accrorap et crée la compagnie Käfig en 1996. Il pioche régulièrement dans ses souvenirs d’enfance – ici les cours de boxe auxquels l’avait inscrit son père – pour créer les univers de ses spectacles avec ses fidèles collaborateurs : Benjamin Lebreton à la scénographie et Yoann Tivoli aux lumières. Le cinéma est aussi pour lui une source d’inspiration. Dans Boxe Boxe on reconnaı̂t la colorimétrie de Tim Burton, les jeux de jambes de Charlie Chaplin et les rêves de Billy Elliot. Les prouesses techniques et le burlesque se mêlent à la nostalgie pour créer des voyages où chaque élément de décor devient le support des chorégraphies les plus inventives : le ring, les punching-balls, les raquettes…Teddy Verardo, dans le solo de La jeune fille et la mort joué en live par le Quatuor Debussy, est entouré par les danseurs. Ils le défient, le poussent à se dépasser. On pense à la fois au cercle en hip-hop et au pic de transe hypnotique du Boléro de Ravel mis en scène par Maurice Béjart. Jusqu’au sacrifice ultime.
Jann Gallois rencontre l’esprit du hip-hop à l’adolescence au Forum des Halles à Châtelet. Pour cette musicienne de formation c’est une évidence et un encouragement à faire de la danse son métier. Carte Blanche c’est 30 minutes d’un travail représentatif de sa patte chorégraphique singulière. Le conservatoire, sa formation scientifique peuvent nous donner des indications sur sa manière de créer. Jann est méticuleuse et rigoureuse. Avec ce brin d’espièglerie qui font le sel de ses créations les plus inoubliables. Avec Marie Marcon et Aloı̈se Sauvage elle propose un cadavre exquis dansé dont le public orchestre la partition chorégraphique : les spectateurs annoncent au micro d’abord un chiffre, correspondant à séquence, puis un chiffre et le nom d’une des interprètes. Chaque représentation dessine alors une nouvelle œuvre. Un concentré haletant de bonne humeur et une réflexion sur l’implication poussée à l’extrême du public dans l’œuvre.
Le hip-hop, un vocabulaire en soi
Ousmane Sy, Queen Blood (2019)
Marion Motin, In the middle (2014)
Rualité, Rite de passage Solo II (2022)
Est-ce qu’il existe une écriture de la danse propre au hip-hop ? Certains continuent à chercher une manière de faire propre à leur identité hip-hop et à puiser dans les valeurs et revendications d’origine pour créer.
Ousmane Sy était de ceux-là. Membre de la 2ème génération des Wanted Posse – champions du monde au Battle of the Year 2001 – cofondateur du Serial Stepperz avec Yugson et instigateur du crew entièrement féminin Paradox-Sal, il défend la culture clubbing sur scène, comme un esprit de rassemblement et de rencontre. Il se réfère en permanence à son héritage. Il métisse la danse house avec les techniques de danses traditionnelles africaines (le sabar du Sénégal, le groka des Antilles…) en étant très influencé musicalement par Fela Kuti. Queen Blood - pour sang royal - est sa première pièce long format. Au Mali, dont est originaire son père, la noblesse ne signifie pas la richesse mais la force qu’on a de passer les épreuves. Sans dramaturgie ni justification, Ousmane Sy cherche à obtenir l’effet d’un corps de ballet tout en exaltant les singularités de chacune des danseuses. Elles enchaı̂nent les pas fluides avec une énergie grisante et une endurance impressionnante. Disparu fin 2020, il nous lègue lui aussi un héritage précieux : la « LegaSy ».
Marion Motin fait la découverte du hip-hop à l’adolescence, dans la rue, aux Halles à Paris et en banlieue parisienne. La grande figure du hip-hop Nasty la prend sous son aile et l’intègre à sa compagnie Quality Street. Sa première création In the Middle est une histoire de famille réunissant les « Swaggers » premier crew hip-hop féminin qu’elle fonde en 2009 avec une bande de femmes fortes et indépendantes. Leur complicité se voit sur scène, tout comme leur liberté contagieuse et l’envie de s’affranchir de toutes les projections qu’on peut avoir sur elles. Marion Motin a un style reconnaissable entre mille. Elle puise dans les techniques du hip-hop newstyle et joue d’attitudes androgynes. Chaque mouvement est instinctif, nécessaire et semble partir du ventre. Sur les chants de Lahsa, artiste américano-mexicaine, elle développe des mouvements de bras, de mains contrastant avec le bas du corps bien ancré dans le sol, et les frappements de pieds, inspirée par la danse flamenco. Le travail de lumières de Judith Leray est cinématographique tout comme la bande-son : le western, Hayao Miyazaki…autant d’inspirations de Marion.
Bintou Dembélé commence à danser en 1985 en passant par la culture de rue et le clubbing. Ses créations, depuis 2002, convoquent la danse, la musique, la voix, les arts visuels et explorent les périphéries, les mémoires rituelles et corporelles. Elle porte une réflexion sur les esthétiques blanches dominantes et cherche à inscrire la pensée et la danse « marronne » fruit de l’histoire de l’auto-libération des esclaves noirs en Amérique et aux Antilles à l’époque coloniale. Elle emploie le solo comme une forme de Rite de passage, un rendez-vous avec soi-même. Solo II est le deuxième volet de Rite de passage, qu’elle a d’abord chorégraphié pour une danseuse de l’Opéra de Lyon dans le programme Danser Encore. En choisissant de mettre en scène le charismatique danseur Michel Onomo dit « Meech »’ – quatre fois vainqueur du Juste Debout en hip-hop et en House - elle se libère de toute forme de norme esthétique et questionne la façon dont le corps est traversé à la fois par l’expérience personnelle et les récits collectifs. Entre douceur et puissance, son corps ondule, pulse, empruntant parfois au Krump, sur la partition musicale minimaliste et répétitive de Charles Amblard.
Les années 2000 ont couronné l’avènement de la danse hip-hop contemporaine et confirmé la place légitime de cette culture sur les scènes des théâtres et évènements incontournables de la danse. A l’instar du hip-hop d’autres mouvements esthétiques, parfois rangés sous l’étiquette danses urbaines, ont explosé ces dernières années : Krump, électro, voguing, waacking… autant de danses affirmant une identité propre et un besoin de faire communauté pour exister.
*Direction Régionale des Affaires Culturelles
Approfondir
Ouvrages
Djakouane Aurélien, Négrier Emmanuel. Le hip-hop en scènes, mutations artistiques et innovations politiques, 2018. 265 p. (Coll. L’Harmattan)
Boisseau Rosita, Philippe Laurent. Danser hip-hop, 2021. 144 p. (Coll. Scala Eds Nouvelles)
Articles en ligne
Auteur
Au départ du projet de Rose-Amélie Da Cunha, il y a une dimension sociale et militante. Originaire d’un milieu populaire, les danses urbaines ont été pour elle une porte d’entrée, une source d’inspiration et un encouragement à s’autodéterminer. Après des études spécialisées dans l’évènementiel et la médiation culturelle, elle œuvre pendant 12 ans au développement de Pôle Pik, centre chorégraphique hip-hop, du Festival Karavel puis de Pôle en Scènes, en région lyonnaise.
En 2020, elle poursuit son engagement pour la danse et l’accompagnement des artistes au sein de La Villette à Paris, en étant chargée de la programmation du hip-hop et de la coordination du dispositif, cofondé par la Fondation de France : Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines (IADU). Actuellement freelance au sein d’une Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE), convaincue par la capacité de l’Économie Sociale et Solidaire à réaliser de grandes transformations, elle accompagne des porteurs de projets dans la réalisation de leurs idées, en étant particulièrement attentive à la question de la représentation des minorités dans la création artistique. Ainsi elle conseille L’Azimut en Île-de-France pour la programmation des spectacles de danse depuis novembre 2021 et a été missionnée par le festival Les Nuits de Fourvière pour assurer la conception et la co-direction artistique de l’évènement « Vogue la nuit », aux SUBS à Lyon en juillet 2022. Elle collabore actuellement à l’écriture de parcours autour des danses hip-hop pour la plateforme Numeridanse, à l’organisation d’évènements festifs pour La Biennale et la Maison de la danse de Lyon et à la programmation danse et cirque de la Maison de la Culture (MC2) de Grenoble. En 2023 elle lance une réflexion collective pour l’accompagnement de la professionnalisation du secteur chorégraphique en Région Auvergne-Rhône-Alpes. En parallèle elle s’engage bénévolement dans plusieurs organisations lyonnaises faisant écho à ses convictions : Rêv’Elles, le Café Rosa et le Conseil de Quartier de la Guillotière où elle réside.
Générique
Sélection des extraits
Rose-Amélie Da Cunha
Textes et sélection de la bibliographie
Rose-Amélie Da Cunha
Production
Maison de la Danse