Krump

Clément Cogitore, Les Indes Galantes

Nach, Nulle part est un endroit

En 2017, nombreux sont ceux qui découvrent le Krump par le biais du court métrage Les Indes Galantes. Le réalisateur Clément Cogitore et trois chorégraphes – Bintou Dembelé, Grichka Caruge et Brahim Rachiki – signent un film percutant mettant en scène, sur le plateau de l’Opéra de Bastille en un plan séquence, une vingtaine de danseurs issus de familles du krump français appelées « fam » et 40 figurants. Un battle d’une puissance irrésistible sur la musique de Jean-Philippe Rameau retravaillée avec des basses percussives, renforcées par les frappements de pieds des danseurs. Ce mouvement, le stomp, fait partie des pas de base. On reconnaı̂t aussi le chest pop (la poitrine se soulève vers le haut), le arm swing (les bras moulinent et miment le jet d’un projectile) et le jab (jet et arrêt du mouvement). Les visages accompagnent le sens de chaque mouvement :

front plissé, langue tirée, bouche ouverte…chaque danseur développe un personnage, sorte d’avatar, à l’énergie et au style propres. On entend les cris qui encouragent l’autre à se surpasser : les danseurs « hypent » leurs acolytes au cœur du cercle.

Dans le premier volet de sa conférence dansée Nulle part est un endroit Nach raconte, en mouvements, sa rencontre fondatrice avec cette danse. Le Krump trouve ses racines dans les ghettos de Los Angeles dans les années 90. Dans un contexte de violences policières, le danseur Tommy le Clown anime les goûters d’anniversaire des enfants des quartiers défavorisés en se grimant et imaginant une danse hyper expressive pour les divertir et leur transmettre des valeurs positives. Dans la rue les jeunes s’approprient ce moyen d’expression et subliment leur rage en dansant au travers des battles. Parmi eux Tight Eyez et Big Mijo, figures majeures du développement du mouvement à travers le monde, apparaissent dans Rize de David Lachapelle. Le film documentaire provoque une déflagration chez les futurs Krumpers. Nach, comme Grichka un des pionniers du

mouvement en France, le voit 5 fois et part se former auprès de ces danseurs à Los Angeles au début des années 2000. Le Krump lui permet de connecter avec d’autres cultures à travers le monde et ses créations sont aujourd’hui traversées par la danse contemporaine, le flamenco ou encore le bûto.

Electro

Le Fréquency

Mazel Freten, Rave Lucid

La danse electro c’est la première danse urbaine française. Elle naı̂t en 2006 dans les clubs parisiens et fait partie de ces danses indissociables du style musical sur laquelle elle se danse : l’électro house et la techno. On la reconnaı̂t à ses mouvements de bras lancés de façon ultra musicale. Les danseurs cherchent, avec leurs bras, leurs mains, à imiter les formes que peuvent prendre les « glow stick », ces bâtons qu’on craque pour faire de la

lumière fluorescente. Inspirée de mouvements du voguing, du locking, de la house et du popping elle se mêle de différentes techniques : le tetris, le flexing ou le bone breaking. Le mouvement se propage grâce à Youtube et à la technoparade de 2007. Youval, SteadyGun et Hagson font sortir la danse des clubs en créant le Battle Vertifight en 2007. A l’époque on compte 10 000 danseurs en France. En 2020 le danseur chorégraphe, DJ et activiste Achraf Bouchefour double champion du monde de danse électro lance les évènements Frequency dont le battle éponyme à la Gaı̂té Lyrique. Il devient un des rendez-vous incontournables d’une communauté mondiale et s’invite également à La Villette et plus récemment au Théâtre national de Chaillot.

Achraf fait partie de Alliance Crew avec Brandon Masele dit Miel, autre ambassadeur de la danse électro française. Avec Laura Nala ils ont créé la compagnie Mazel Freten pour porter leurs projets de rencontre entre les cultures hip-hop et électro. En 2002 ils produisent la première création de danse electro pour 10 danseurs et danseuses : Rave Lucid. Au programme musique (très) rapide, dark techno et mouvements frénétiques.

L’écriture de groupe est originale et d’une extrême précision : les grands ensembles sont hypnotiques et rappellent les ballets de danses classiques les plus rigoureux, où les fouettés seraient remplacés par les mouvements de bras. La musique originale de NikiT amplifie les battements de cœurs à l’unisson et les corps font caisse de résonance.

Waacking & Voguing

Josepha Madoki, D.I.S.C.O.

Ball Lasseindra Ninja

Habibitch

Là où le hip-hop permet à des danseurs d’exprimer des revendications en rapport avec leurs origines sociales, les danses waacking et voguing sont créées par les communautés LGBT afros et latinos et permettent également d’affirmer l’expression d’orientations sexuelles, d’identités et d’expressions de genre plurielles. Ce sont des mouvements de réappropriation du corps où toutes les beautés sont valides.

Le waacking émerge auprès des communautés gays, noires et latinos au début des années 70 au sein des clubs de Los Angeles en Californie et est popularisé par l’émission de télévision Soul Train. Pour les danseurs le club est un espace politique de retrouvailles et de rencontre avec des personnes qui partagent les mêmes expériences. Dansé sur de la musique disco, le waacking joue des mouvements de bras et des poses et attitudes de divas inspirées du cinéma hollywoodien des années 20. « Tu waack ! » signifie « Tu crains ! ».

Les danseurs se réapproprient une insulte proférée à leur rencontre dans une démarche d’empowerment. Josépha Madoki est une figure majeure de cette culture en France et en Europe. Elle co-fonde en 2016 le premier collectif de Waacking français, Ma Dame Paris, et crée les spectacles Waackez-vous Français ? et Oui, et vous ? avec les iconiques Sonia Bel Hadj Brahim et Mounia Nassangar. Dans D.I.S.C.O. elle recrée un club en réunissant sur scène, sous une boule à facettes géante, 9 danseurs et danseuses et DJ Najeet. Ensemble ils célèbrent les corps, la joie, la fête en mettant en scène l’esprit clubbing mais aussi les violences que vivent encore les communautés LGBT dans le monde.

Le mouvement voguing naı̂t à peu près à la même période du côté est des États-Unis, dans le quartier de Harlem, à New York, en réaction au racisme au sein de la communauté LGBT. A l’époque les concours de drag queens couronnent essentiellement les personnes blanches. Les drags et personnes trans afros et latinos décident alors d’organiser leurs propres « balls », des sortes de concours de beauté sous forme de défilé, en y incorporant peu à peu de la danse. Les gestes sont inspirés des poses de mannequin. D’ailleurs le mot vient du magazine « Vogue ». La communauté se compose en « house », de véritables familles, qui sont souvent des refuges pour des jeunes rejetés par leur entourage en raison de leur identité.

Lasseindra passe son adolescence à Harlem où elle découvre le voguing, un espace où elle est libre d’exister pleinement. Elle s’installe à Paris dans les années 2000 et contribue à faire émerger la ballroom scene en France, dans la continuité de de ses aı̂nés Stéphane Mizrahi et GIo Brooks. Elle exporte la House of Ninja, créée par Willy Ninja, connu comme le parrain du voguing, en 1982 à New York. Les danseuses de Voguing concourent dans 3 catégories : old way, new way et, comme ici, vogue fem. Lasseindra est Wonder Woman face à la finlandaise Inxi aka Sailor Moon. Le voguing c’est l’exagération et la flamboyance !

Les cheveux, les mains – jusqu’au bout des ongles – ont leur importance sur le catwalk. Le travail des costumes est primordial et en rapport avec le thème du ball. Un des mouvements légendaires consiste en un impressionnant saut avec atterrissage en demi grand-écart au sol : le death drop.

La ballroom scene connaı̂t un regain de popularité ces dernières années avec la multiplication d’évènements d’envergures portés par des institutions culturelles. En septembre 2023 la Biennale de la Danse fait appel au légendaire Vinii Revlon, international « father » de la House of Revlon, et la Gaı̂té Lyrique pour organiser un Ball à Lyon au sein des anciennes Usines Fagor. Sur le thème Fight for your rights les participant.e.s concourent pour remporter les trophées ainsi que les price money. Parmi les 14 catégories, « Runway » met à l’honneur la démarche et les looks. Les participant.e.s

ont préparé leur performance selon l’indication suivante : « apporte un look créatif s’inspirant des œuvres de Jean-Michel Basquiat, peintre majeur qui a su mettre dans ses œuvres ses engagement politiques ».

Anciennement connu.e sous le nom Ari de B, Habibitch danse le waacking et le voguing (apès avoir suivi une formation en danse hip-hop de 2 ans) et fait de son art un moyen de remettre en question les rapports de domination notamment coloniaux. Franco algérien.ne queer non binaire et activiste iel découvre le voguing en 2011, alors qu'iel voyage à San Francisco. Iel évolue ensuite dans le milieu de la ballroom scene parisienne

où iel rencontre Kiddy Smile qui lui permet d'entrer dans la House of Mizrahi en 2015. Le voguing lui permet de porter son engagement politique sur les scènes du monde entier.

Imaginées par des groupes marginalisés, les danses sociales permettent aujourd’hui à leurs membres d’affirmer leur légitimité d’exister librement. Ces cultures sont visibilisées, reconnues et commercialisées, offrant des voies professionnelles à un certain nombres d’artistes issues de ces communautés tout en flirtant avec le risque de récupération et d’invisibilisation des protagonistes et des revendications originelles.

Série

Murphy Ryan, Falchuk Brad, Canals Steven. Pose. 2018-2021

Documentaire

Cieutat Romain. Krump – Get Off. 2022

Articles en ligne

https://journalcaracteres.wordpress.com/2021/01/18/une-entree-dans-lhistoire-du-waacking/

https://www.tousdanseurs.com/articles/reappropriation-culturelle-la-danse-electro/

Au départ du projet de Rose-Amélie Da Cunha, il y a une dimension sociale et militante. Originaire d’un milieu populaire, les danses urbaines ont été pour elle une porte d’entrée, une source d’inspiration et un encouragement à s’autodéterminer. Après des études spécialisées dans l’évènementiel et la médiation culturelle, elle œuvre pendant 12 ans au développement de Pôle Pik, centre chorégraphique hip-hop, du Festival Karavel puis de Pôle en Scènes, en région lyonnaise.

En 2020, elle poursuit son engagement pour la danse et l’accompagnement des artistes au sein de La Villette à Paris, en étant chargée de la programmation du hip-hop et de la coordination du dispositif, cofondé par la Fondation de France : Initiatives d’Artistes en Danses Urbaines (IADU). Actuellement freelance au sein d’une Coopérative d’Activité et d’Emploi (CAE), convaincue par la capacité de l’Économie Sociale et Solidaire à réaliser de grandes transformations, elle accompagne des porteurs de projets dans la réalisation de leurs idées, en étant particulièrement attentive à la question de la représentation des minorités dans la création artistique. Ainsi elle conseille L’Azimut en Île-de-France pour la programmation des spectacles de danse depuis novembre 2021 et a été missionnée par le festival Les Nuits de Fourvière pour assurer la conception et la co-direction artistique de l’évènement « Vogue la nuit », aux SUBS à Lyon en juillet 2022. Elle collabore actuellement à l’écriture de parcours autour des danses hip-hop pour la plateforme Numeridanse, à l’organisation d’évènements festifs pour La Biennale et la Maison de la danse de Lyon et à la programmation danse et cirque de la Maison de la Culture (MC2) de Grenoble. En 2023 elle lance une réflexion collective pour l’accompagnement de la professionnalisation du secteur chorégraphique en Région Auvergne-Rhône-Alpes. En parallèle elle s’engage bénévolement dans plusieurs organisations lyonnaises faisant écho à ses convictions : Rêv’Elles, le Café Rosa et le Conseil de Quartier de la Guillotière où elle réside.